LES AMANTS (1999)

 

Cinq mélodies pour mezzo-soprano
& ensemble instrumental
Sur des poèmes de Jean-Pierre Siméon

[3 clarinettes(sib, la, basse), quatuor à cordes et piano]

 

Commande du Centre Dramatique de Reims
et du Petit Opéra,
sur une proposition de Christian Schiaretti

à Emmanuel Conquer

Durée : 17 minutes 30
Editions Durand, Paris

  1. 1. Les Amants devant la grande illusion de l'océan (3')
  2. 2. Le Soleil est une brebis sur la pente du ciel (3')
  3. 3. L'Aboi des chiens… (2'30)
  4. 4. Jeunesse… (4')
  5. 5. Nomades (5')

Commandée par le Centre dramatique de Reims et Le Petit Opéra sur une proposition de Christian Schiaretti, cette œuvre a été donnée en création mondiale le 18 décembre 1999 à la Comédie de Reims au cours du Festival Les Langagières par Jacqueline Mayeur et l'Ensemble du Petit Opéra sous la direction d'Emmanuel Conquer.

 

L'effectif de la première version comprend trois clarinettes, un quatuor à cordes et un piano. Dans la version pour orchestre de chambre, le quatuor est remplacé par un effectif de cordes plus important.

Fruit de ma rencontre avec l'œuvre du poète Jean-Pierre Siméon, cette partition utilise cinq textes que j'ai choisis parmi son recueil de poèmes intitulé <Le Bois de Hêtre>. Les poèmes I et V sont extraits de la deuxième partie du recueil :<Les amants font exactement…>, tandis que les poèmes II à IV proviennent de la cinquième partie : <Jeunesse, tu as…>.

 

L'ensemble fonctionne en une progression depuis le discours intimiste du 1er numéro jusqu'à la déclamation dramatique du dernier, en passant par tous les états de violence et de tension vitale de la jeunesse ; le dernier morceau reprend, en outre, certains éléments dominants du cycle.

I. Les amants devant la grande illusion de l'océan
Cette phrase, à elle seule, plante le décor de cette première partie. <Rêve>, <Illusion>, <Enfant qui ne sait d'où te vient cette ombre sur le mur…> impliquent une couleur tendre, impressionniste. Le texte est à peine chanté ; murmuré, afin de suggérer un climat d'intimité et d'intériorité : <la vie dort et remue…>. Il est interrompu seulement par le piano qui intervient à plusieurs reprises comme un battement de cœur : <bat la roche du cœur…>.

 

II. Le soleil est une brebis sur la pente du ciel
Course brûlante, effrénée, mélange de chaud et de froid : <Les frelons de la neige…>, <Tu brûleras la paille de nos granges…>. Soudainement, on est projeté dans une suspension du temps : <Tu romps l'espace, tu interromps le temps…> et puis la course folle reprend, course d'une <jeunesse dévorante>.


III. L'aboi des chiens, jeunesse
Pulsation de jeunesse. Rythme soutenu, régulier, allant vers une complexité sonore qui sous-tend une violence contenue : <Je te voulais fauve, avec un rire fracassant…>.
Après le paroxysme instrumental, la musique, grâce à une forme en miroir, nous ramène au climat initial. La strette instrumentale finale renforce l'idée de jeunesse et de violence contenue d'où surgit la dernière phrase : <Puis on s'éveille, à main nue, dans le meurtre>.

 

IV. Jeunesse
Structure A, B, A. L'aspect dramatique s'intensifie dans les fragments A de cette quatrième partie. L'élément vocal devient beaucoup plus lyrique, entraîné dans un abîme tournoyant, frénétique et violent : <Jeunesse, je suis dans ta poigne encore sous le vent des orages…>, <Rends offense pour offense, fais sonner claire ta riposte…>.
Le fragment B interromp l'affrontement. Rupture dans le temps et dans l'espace ; continuo lent et statique, comme pour se mesurer à l'infini : <Autour de toi les siècles comme des coupes versées…>.


V. Nomades
Progression lente soutenue par une pulsation grave, telleune lutte contre le temps, jusqu'au repos final. La voix se fait encore plus dramatique et puissante, comme pour lutter <dans un monde nomade où les ciels et les mers font un lit pour les morts…>.
Cette progression est interrompue par un épisode qui mélange les musiques de <Jeunesse> des deuxième et troisième parties : <Mordre au soleil…>, <Lever le front devant l'outrage…>. Reprise de l'élément initial. Cette fois, le <Jeu terrible> semble inéluctable. C'est le cœur qui en <est la trame et l'épilogue>.
L'œuvre se termine sur une image figée, prise au ralenti.
Vision soudaine : les <amants féroces> sont poésie vivante.

[ Yves Prin]

»» Version pour mezzo-soprano & piano (2000)
»» Version pour mezzo-soprano & orchestre de chambre (2001)

  • Création mondiale le 18.12.1999
    à la Comédie de Reims, Festival <Les Langagières>
    par Jacqueline Mayeur et l'Ensemble Instrumental du Petit Opéra, dir. Emmanuel Conquer

I. Les Amants devant la grande illusion de l'océan

Les Amants devant la grande illusion de l'océan
tiennent dans leurs paumes
l'unique preuve, leur joie, galet brûlant.
La vie dort et remue,
bat la roche du Cœur,
use l'instant
dans leur sourire.
S'ils ont fait le choix d'être
une aube ouverte, brisée, appuyée au vide,
se sentant naître et mourir
à la croisée des vents et des couleurs,
ils sont comme le monde dans l'afflux de ses rêves
une île malmenée,
rebelle et hantée.
Enfant qui ne sait d'où te vient
cette ombre sur le mur
mais lui parle
comme à une amie de toujours,
tu leur diras ce qu'il faut croire.

II. Le Soleil est une brebis sur la pente du ciel  

Le soleil est une brebis sur la pente du ciel
et toi, tu es un loup pour le soleil.
Ta course ignore les frelons de la neige,
gardiens de nos malheurs.
Tu entreras dans la peau des lumières.
Tu brûleras la paille de nos granges.
Ce feu depuis toujours est le songe d'Orphée.
Tu romps l'espace,
tu interromps le temps,
et tu nous abandonnes
à nos maisons bâties de pain et de beauté,
misère usée jusqu'à la corde.
Demain est ton exil,
citadelle mariée à l'avancée du jour,
comme à la poudre des astres,
dévorée jeunesse,
dévorante.

III. L'Aboi des chiens, jeunesse  

L'aboi des chiens, jeunesse,
dans l'odeur forte et coupable des ruelles.
Lequel de tes visages
as-tu jeté à la meute qui mange tes pas ?
Je te voulais fauve, avec un rire fracassant,
et je voyais monter ta parole fraîche
comme la brume des cascades.
L'entends-tu bien la théorie des cuivres,
tandis que tu dors dans les chambres matinales ?
Ainsi s'endort-on sur sa couche de fougères,
fermant sur soi des bras immortels.
Puis on s'éveille, à main nue dans le meurtre.

IV. Jeunesse  

Jeunesse, je suis dans ta poigne encore
sous le vent des orages.
Regarde : je fouille les parfums de l'oranger,
je jette ma pierre à l'invisible.
Jeunesse, attarde-toi dans l'étoile
comme une île à l'ancre dans l'abîme.
Autour de toi les siècles
comme des coupes versées,
et tu bois à genoux leur vin noir, à même la flaque,
au milieu des lampes répandues.
Rends offense pour offense,
fais sonner clair ta riposte
comme d'une lèvre à la gorge des filles.
Offre une fontaine à l'évidence.

V. Nomades  

Amants qui nous accompagnez, nomades
dans un monde nomade où
les ciels et les mers font un lit pour les morts,
amants ô féroces,
entre vos nuits bâties et vos jours sans refus,
faites la place neuve.
Que la foule des hommes y progresse,
que ses mille et mille voix comprennent
qu'en votre gorge c'est leur chant qui veut naître.
Mordre au soleil,
trahir la routine des nuages,
à distance des toits dévastés lever le front
devant l'outrage,
savoir que le repos est poussière pour nos yeux,
et que le cœur,
s'il tient haut sa violence contre le temps,
est la trame et l'épilogue,
tel est le jeu terrible.
Amants féroces, tendres vivants,
poètes advenus.