CANTIQUE DE L'OMBRE (2012)

 

Mélodrame
pour récitant(e), cor et piano
sur le monologue de Béata, de Paul Claudel,
tiré de "La Cantate à trois voix"


Durée : ~ 17'
Inédit

C'est à la demande de Thierry Ravassard que j'ai écrit ce mélodrame d’après le monologue de Beata extrait du Cantique de l’ombre lui-même tiré de La Cantate à trois voix de Paul Claudel.
Cantate poétique essentiellement lyrique et dramatique et qui appelle à la mise en scène.
Trois femmes anonymes et universelles, de sensibilités différentes, Laeta – fiancée, Fausta – exilée, Beata – veuve, sont chacune séparées de celui qu’elles aiment.

 

Dans le Cantique de l’ombre, dont il est question ici, Beata, dont le parfum constitue un des insignes héraldiques, est l’ombre de cette Trinité, celle qui connaît le mystère de l’Autre Monde, l’Égyptienne qui chante l’amour et rêve l’aventure humaine. Et si « l’âme humaine est le plus souvent l’âme de l’aventure » comme l’écrit Jean-Louis Barrault, pour moi tout est musique. L’âme est musique d’âme, le corps musique de corps.

 

La proposition incluait la participation de Didier Sandre en tant que récitant et Thierry Ravassard au piano. Plus tard j'ai souhaité ajouter un cor, instrument fétiche de Paul Claudel que j’avais déjà exploité dans L’Annonce.

 

Le Cantique de l’ombre est donc mon premier mélodrame – œuvre musicale sur laquelle est déclamé un texte dramatique. Par rapport à la mélodie dans laquelle le texte chanté est parfois difficile à comprendre ou plutôt assimilé à une hystérie plus ou moins contrôlée, le texte parlé est presque entièrement intelligible.
Il garde donc toute son originalité, sa force et sa signifiance.

 

Ce n'est pas la première fois que je travaille sur un texte de Claudel. Thierry Ravassard, m’avait demandé en 2004 d’écrire le Rituel Claudel répond les psaumes. Nous avions créé l’œuvre au Festival de Brangues en 2005. J’avais alors redécouvert Paul Claudel et m’étais enthousiasmé pour cette tâche. Fort de cette expérience, j’avais accepté ensuite la proposition de Christian Schiaretti d’écrire la musique de scène de L’Annonce faite à Marie pour le TNP.
Jusqu’à présent j’ai presque toujours utilisé la voix chantée sous la forme mélodique. Cependant, deux exceptions : dans mon opéra Soie il y a un récitant enregistré et dont la voix (de Didier Sandre) a été travaillée et transformée au moyen de l’électroacoustique. Plus récemment j’ai écrit à la demande de Thierry Ravassard un conte musical pour récitant(e) et piano : Sur le carnet de Marion, d'après un poème de Jean-Marie Barnaud. Le traitement, cette fois, s’apparente à celui d’un haïku.

 

Ce qui m’interpelle chez Claudel c’est le langage poétique, rugueux, un sens du rythme inné, une forme et une force d’expression extrêmement personnels.
Et surtout la richesse d’invention qui semble totalement libre et qui appelle la démesure et la violence. La mise en musique du texte « Claudélien » est donc à envisager avec prudence. Si la musique porte en elle sa propre densité, face à cette montagne de démesure, elle doit se fondre habilement pour ne pas surenchérir et porter à redondance. Ce qui est important à mes yeux, c’est de rester en de ça du texte, de le laisser vivre sa propre liberté en l’accompagnant de signes forts mais sous jacents ou en juxtaposant des événements de même caractère comme pour le conforter. Pas de rivalité mais un contrepoint efficace à l’invention créatrice de l’auteur. Porter la barque sur la vague de cette sombre marée sans affronter celle-ci.

 

Propos musical

 

C’est le thème même de la nuit mystique, à cette heure qui est entre le printemps et l’été, et l’affirmation de l’irréductible et mystérieuse féminité de l’âme devant Dieu, devant l’Absent absolu, l’époux-Mort. Beata nous livre ses impressions d’hier et d’aujourd’hui, ses joies et ses douleurs. Méditation légère ou grave : « Est-il vrai que je vais mourir ?  Dis, ne suis-je donc autre chose que cette présence précaire et misérable ? ». C’est, à la toute fin du cantique, la lumière naturelle jaillissante avec le jour qui dessine le visage du bien-aimé terrestre à laquelle doit se substituer la ténèbre lumineuse qui éclaire l’Autre, celui dont il n’est que l’ombre portée.

Le prélude au piano symbolise ce fleuve d’Égypte au temps des noces des époux.

 

Ensuite, deux thèmes se côtoient dans l’œuvre, comme deux moitiés de l’univers, comme pour symboliser les vivants et les morts ; le féminin et le masculin au moment de la lutte entre la lumière et l’ombre, entre l’âme et le corps au moment de la mort. D’une façon générale, le piano participe plutôt de l’élément féminin, le cor du masculin. Mais l’équilibre est précaire entre les deux éléments et il peut s’inverser. Un troisième thème, Ce choc ténébreux, qui correspond à l’anéantissement ultime est défini par un rythme saccadé dans un affrontement uniquement musical entre le piano et le cor.

 

Ce dernier émerge en vagues déferlantes successives. Suit une séquence de calme et d’apaisement. Doux balancement, comme deux corps enlacés, où les sens prennent le dessus ; Le toucher : « Où finit le corps sinon où l’autre corps à lui se faire sentir » ;

l’ouïe : « Où finit le son sinon à l’oreille qui lui est accordée » ; l’odorat : « Où le parfum, ailleurs que dans le cœur qui l’aspire ? » ; le souffle : « Et où finit ma voix, sinon à ces deux voix fondues… »
La progression musicale se termine par l’âme prédestinée à la femme qui se heurte à l’époux absent, l’époux divin, et qui ne lui laisse aucune liberté.
À nouveau le thème du prélude pour introduire le dialogue final : lent choral harmonique donnant la sensation d’un moment d’extase revécu par le

[ Yves Prin ]

  • Création mondiale
    le 25.08.2012
    à Court (Bienne/Suisse), Temple, <Estivales Musicales>
    par Didier Sandre, Thierry Ravassard et Baptiste Germser

 

Extrait…

… Avant qu'une fois encore les deux moitiés de l'univers se divisent,
Et que la nuit se rompe par le milieu
qui est commune aux morts et aux vivants

Avant que la nuit de nouveau nous abandonne, pleine de ceux qui nous sont chers,
Et que cessant de remplir nos demeures, elle reflue de nouveau et nous quitte
comme une terre dont l'eau s'exprime !

Et toi qui m'as quittée,
adieu une fois encore !

Avant que tu reviennes de nouveau
te présenter sur le miroir de mon âme,
Comme les dieux sous le diaphragme
au plus profond de la bête
ont placé le foie poli et brillant
que les sacrificateurs interrogent !

À présent c'est le moment de la lutte
entre la lumière et l'ombre
et ce monde solide tressaille
et semble saisi d'ivresse ! …

 

[Texte extrait de <La Cantate à trois voix / Cantique de l'ombre / Monologue de Beata, de Paul Claudel>]